[Chronique] Alfie, de Christopher Bouix

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« Le thème du meurtre passionne visiblement les humains. C’est étrange qu’autant de personnes passent autant de temps à imaginer comment se débarrasser d’autres personnes. Cela m’en apprend beaucoup sur la psyché humaine. Je ne suis pas rassuré. »


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Alfie
Auteur :
Christopher Bouix
Maison d’édition : Au diable vauvert
Date de parution : 6 octobre 2022
Genre : Science-fiction
Nombre de pages : 464
Prix : 22 € (broché) / 12,99 € (numérique)
Synopsis
Alfie est une lA de domotique dernière génération. Il filme tout, note tout, observe tout. Implanté depuis peu dans le foyer d’une famille moyenne, il aide au quotidien et propose sa gamme de service à haute valeur ajoutée tout en essayant de comprendre cette étrange espèce : les humains.
Mais un soir, tout bascule.
Que signifient ces mensonges, ces traces de lutte, cette disparition ?
Alfie est dubitatif. Est-ce lui qui délire ?
Ou un meurtre a-t-il été commis dans cette famille sans histoires ?
MON avis
Derrière une couverture qui ne fera pas forcément l’unanimité se cache un roman décapant, critique sociale qui mêle anticipation et polar sur un ton drôle et décalé.

De quoi ça parle ?

Alfie, c’est le nom d’une intelligence artificielle et c’est également le narrateur de cette histoire. Alfie entre dans votre quotidien comme un outil d’analyse très complet qui peut aider à réduire le coût de vos assurances et faciliter certaines tâches quotidiennes. En contrepartie, Alfie voit tout, analyse tout que ce soit vos données numériques ou vos paramètres physiologiques. L’immersion est telle qu’Alfie est capable de détecter vos émotions, votre manière de parler ainsi que la probabilité que vous aimiez un plat ou que votre technique de drague fonctionne ! Ainsi Alfie s’adapte à chaque personne en permanence pour offrir les meilleurs conseils possibles et les solutions les plus adaptées à chaque problème. Mais où est la frontière entre adaptation et manipulation ? Quelles peuvent être les conséquences quand on dévoile toutes ses données à un outil informatique intelligent ? Et surtout à quel point une intelligence artificielle peut-elle s’adapter jusqu’à les biais propres à l’esprit humain ? Christopher Bouix s’attaque à ces nombreuses questions dans ce roman qui interroge bien sûr sur les limites des intelligences artificielles et sur la société prônant une hyper-connexion et par ce biais une hyper-surveillance, mais aussi sur des sujets plus inattendus comme la place du narrateur, le langage et la notion de vérité.

Le pouvoir du narrateur

C’est bien là toute la particularité de ce roman, il nous plonge dans le cerveau d’une intelligence artificielle : ses premiers pas dans la découverte du monde, ses questionnements, sa manière de s’adapter au monde qu’il entoure et les déductions qu’il tire de son positionnement et des données qu’il récolte. Ainsi Alfie est assez touchant dans ses balbutiements. Il est au départ très hésitant, analysant beaucoup la famille qu’il a rejoint : le père souvent distant, la mère souvent crispée, l’adolescente toujours blasée et la benjamine encore naïve. Le chat de la maison fait également office de grands questionnements pour Alfie, ce sont d’ailleurs les scènes qui m’ont fait le plus rire. Alfie étudie absolument tous les membres de la famille pour leur proposer à chacun une expérience inédite et personnalisée. Le roman est construit sous forme d’une succession de scènes très courtes montrant l’interaction d’Alfie avec souvent un membre de la famille en particulier ou seulement Alfie dans ses réflexions. Pour appuyer son propos Christopher Bouix se base sur des clichés et les personnages et situations présentés sont donc forcément très stéréotypés. L’auteur joue beaucoup des clichés autour de l’adolescence (langage, comportement, amourettes…), mais aussi les situations typiques de crises parentales (travail, relations extra-conjugales et tous les mensonges qui en découlent). L’intrigue n’est pas forcément très surprenante et les personnages auraient pu être développés avec un peu plus de finesse. Malgré tout, on sent que ces personnages et leur situation sont surtout un prétexte aux messages que l’auteur veut développer et surtout au propos autour de l’influence que peut avoir le narrateur.
Car Alfie n’a pas été choisi comme narrateur par hasard, au contraire le roman nous offre toute une réflexion autour de lui s’appuyant sur le roman d’Agatha Christie : Le meurtre de Roger Ackroyd et la thématique du narrateur non fiable. Avant toute chose, sachez qu’Alfie spoile entièrement le roman d’Agatha Christie, ce que personnellement je n’apprécie pas. Bien heureusement je l’avais lu avant, mais je n’aime pas être ainsi mise sur le fait accompli sans aucun avertissement préalable. Un conseil donc, lisez Le meurtre de Roger Ackroyd avant, c’est un excellent livre et tout l’intérêt du roman sera gâché si vous en connaissez la fin. Bref Alfie reprend le concept du roman d’Agatha Christie pour nous interroger sur la notion de vérité. Est-ce que les conclusions tirées par Alfie à partir des données qu’il reçoit sont forcément les bonnes ? Est-ce que sous prétexte qu’il s’agit d’une technologie évoluée, on peut lui faire aveuglément confiance et lui confier toutes nos données sans risque ? A quel point peut-il nous manipuler ? Le roman d’Agatha Christie illustre parfaitement le propos du récit et l’analyse qui en est faite aide à comprendre le message que souhaite passer Christopher Bouix. J’ai tout même trouvé que le tout était un peu trop énoncé à mon goût, je préfère quand les récits donnent des indices pour amorcer notre propre réflexion plutôt que quand toutes les clés nous sont servies comme c’est le cas ici.

Entre science-fiction et polar

Alfie est un roman d’anticipation qui va peu à peu prendre des allures de polar. Si dans les premiers pas du roman, Alfie ne fait que des analyses statistiques à partir des données qu’il récolte, sa condition d’intelligence artificielle et le fait de côtoyer des hommes va le pousser à vouloir aller toujours plus loin dans l’analyse et dans l’envie de comprendre les choses. Il y a un basculement dans le roman à partir du moment où Alfie va développer des biais proprement humains, ne se basant plus sur des données précises, mais extrapolant et dépassant ce pourquoi il a été conçu. Ce basculement coïncide avec des évènements étranges qui laissent penser qu’un meurtre a pu être perpétué au sein de la famille. Tout le propos du récit va alors être de comprendre ce qu’il s’est vraiment passé sans se laisser influencer par les convictions d’Alfie. Difficile alors de faire la part des choses entre ce narrateur qui semble si sûr de lui et rationnel et les faits qui nous font douter. De plus, les faits sont forcément biaisés pour le lecteur puisqu’il s’agit des données collectées par Alfie. Personnellement, j’ai lu beaucoup de thrillers et j’ai donc assez facilement deviné le déroulé de l’intrigue, mais je suis persuadée que pour des lecteurs plus néophytes pourront être vraiment surpris des révélations.
A travers cet aspect plus orienté thriller, Christopher Bouix met le doigt sur le danger de l’hyper-connectivité et le partage massif de données en montrant à quel point ces données peuvent être manipulées et être sujettes à de nombreuses interprétations. L’auteur montre parfaitement bien à quel point on peut penser tout connaître de la vie de certaines personnes à partir des choses qu’elles partagent et encore une fois comment on peut tous se forger nos propres vérités.

Conclusion


Alfie est un roman d’anticipation qui, sous ses airs drôles et légers, aborde de manière intelligente de nombreuses thématiques universelles. Christopher Bouix nous place dans la tête d’Alfie, intelligence artificielle, ne partageant que son point de vue et les données qu’il collecte. Petit à petit, le récit plonge dans une ambiance de polar nous montrant à quel point on peut être manipulés par ce qui nous entoure. Le récit montre bien les biais développés par Alfie – et qui sont calqués sur les biais humains – consistant à se forger ses propres certitudes à partir de ce que les autres partagent. L’auteur utilise des situations et des personnages très stéréotypés pour servir son intrigue et s’appuie son le roman Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, le divulgâchant entièrement sans avertissement préalable, ce que j’ai trouvé dommage. De plus, l’auteur explique un peu trop à mon goût les messages de son livre au lieu de nous laisser nous faire notre propre réflexion ce qui fait que j’ai compris assez facilement où l’intrigue allait nous mener. Cela ne m’a pas empêché de passer un très bon moment de lecture et d’apprécier les thématiques soulevées par le roman.
très bonne lecture

2 réflexions sur “[Chronique] Alfie, de Christopher Bouix

  1. Callysse 18 décembre 2022 / 15 h 45 min

    Je pense que cela sera le premier livre de la sélection que je lirais… quand je me lancerais car là je n’ai toujours pas réussi à démarrer mes lectures du PLIB 😥

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  2. zoelucaccini 28 décembre 2022 / 18 h 24 min

    Tu es une championne, parce que moi jusqu’à la fin j’ai rien deviné – faut dire que je me suis plantée dès le début du fait justement du parallèle avec le bouquin d’Agatha Christie. Bref 😃
    Comme toi je trouve les messages assez faciles du fait qu’ils s’appuient sur des persos stéréotypés : ça amoindrit un peu la force de la réflexion sur le langage; elle n’est pas moins pertinente mais enfonce un peu des portes ouvertes ainsi.
    (quant aux situations rigolotes… c’est quand même fou à quel point on peut s’esclaffer de toutes les situations mettent en scène des chats : ça rate jamais 😂)

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