[Chronique] Aucune terre n’est promise, de Lavie Tidhar

Aucune terre n'est promise
« L’Histoire n’est peut-être que cela : un moyen de conjurer, de nos voix éphémères, le silences des morts. » 


 
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Aucune terre n’est promise
Auteur :
Lavie Tidhar
Traduction : Julien Bétan
Illustration : Kévin Deneufchatel
Éditeur : Mü (Mnémos)
Genre : Science-fiction
Date de parution : 29 janvier 2021
Nombre de pages : 272
Prix : 21 € (broché)
 
Synopsis
… aucune destinée n’est manifeste.
Berlin. Lior Tirosh, écrivain de seconde zone, embarque pour la Palestina, fuyant une existence minée d’échecs. Il espère retrouver à Ararat City la chaleur du foyer, mais rien ne se passe comme prévu : la ville est ceinturée par un mur immense, et sa nièce, Déborah, a disparu dans les camps de réfugiés africains. Traqué, soupçonné de meurtre, offert en pâture à un promoteur véreux, Lior est entraîné malgré lui dans les dédales d’une histoire qu’il contribue pourtant à écrire.
Lavie Tidhar questionne nos identités, et le prix qui leur est attaché. Aucune terre n’est promise est un roman d’une incroyable lucidité sur les enjeux d’Israël, microcosme du monde. Il n’en cède pourtant rien à la poésie, seule utopie capable encore d’incarner la paix.
MON avis
Aucune terre n’est promise est un roman écrit par l’auteur israélien Lavie Tidhar et traduit par Julien Bétan. Je l’ai découvert suite à sa réception du prix Planet SF 2021 et aux nombreux avis élogieux qui en ont découlé. Je remercie donc les blogueurs qui l’ont mis en avant et m’ont permis de lire ce roman sur lequel je ne me serais sûrement pas retourné sans cela, ayant un peu peur du traitement de la thématique du conflit israélo-palestinien. 
 

De l’uchronie servie par une narration atypique

On ne peut pas en révéler beaucoup de ce roman tant il nous propose une expérience renversante et s’amuse à nous perdre jusqu’à la dernière page. Aucune terre n’est promise est une uchronie dans laquelle l’auteur place une colonie juive appelée Palestina au cœur de l’Afrique entre l’Ouganda et le Kenya (une carte est disponible au début du roman pour bien situer les choses). Par ce biais Lavie Tidhar propose une réécriture du projet Ouganda, un projet britannique visant à implanter le peuple juif au Kenya. Si ce projet n’a finalement pas vu le jour, Lavie Tidhar, lui, le concrétise dans ce roman et s’appuie sur des conflits réels pour la faire exister. Ainsi, un mur est en construction tout autour de la capitale, Ararat City, symbole d’un racisme bien ancré et visant à empêcher la population noire d’entrer dans la ville. De nombreux attentats terroristes touchent la capitale et c’est dans une ambiance finalement très dichotomique que l’on entre dans le récit.
 
On suit ainsi le personnage de Lior Tirosh, un écrivain parti s’installer en Allemagne qui retourne à Ararat City, là où il a grandi. Le récit nous offre ainsi différents points de vue de la vie en Palestina. Du point de vue de Lior, Ararat City est symbole d’un foyer, un endroit réconfortant où on retrouve ses repères. D’un autre côté, on assiste en tant que lecteur à des scènes de violence, à un contrôle de sécurité extrêmement renforcé. Encore une fois, l’auteur joue avec ces éléments et avec nos sens, nous imposant à la fois un sentiment de peur et de chaleur. Il fait en sorte de nous déstabiliser en nous faisant perdre nos repères, et ce, notamment grâce à une narration très particulière. Ainsi si le personnage de Lior Tirosh est le personnage principal, il n’est pas le narrateur. C’est un autre personnage témoin de l’histoire qui est en réalité le narrateur de ce récit. Ainsi, au cours des chapitres, on passe d’une narration à la troisième personne, à une narration à la première personne et même parfois à la deuxième personne. Cette narration vraiment atypique contribue extrêmement bien à nous imposer cette perte de repère et à maintenir un suspense constant dans l’intrigue. Ainsi l’auteur ne dévoile vraiment que les éléments qu’il souhaite et assemblent petit à petit les pièces du puzzle. De nombreux fils se déploient autour du personnage de Tirosh qui semble avoir un comportement de plus en plus étrange, des pertes de mémoire, une attitude de plus en plus irrationnelle… Il se retrouve mêlé à des histoires de disparition et est constamment suivi et surveillé. Aucune terre n’est promise est ainsi un roman très déconcertant et surprenant, autant dans ses thématiques que dans sa narration ou son intrigue. Il nous propose une expérience de lecture unique qui nous interroge sur la réalité tout en abordant avec profondeur certaines thématiques. 
 

Un récit très personnel 

Si Aucune terre n’est promise est un récit de fiction, on ressent également que l’auteur y a mis une grande part de lui-même, à commencer par la condition d’écrivain du personnage principal. Ainsi Tirosh est un écrivain un peu raté, il réussit à vivre de son métier, mais jamais vraiment à faire décoller sa carrière ni à écrire de romans qui seraient autre chose que de bons divertissements. J’ai l’impression que l’auteur a mis beaucoup de lui-même dans les questionnements de Tirosh face à son métier, à la littérature et aux mondes que l’on peut inventer. Lavie Tidhar questionne également beaucoup sur l’humanité, sur l’injustice, sur le fait de ne pas trouver sa place dans un monde, cette terre promise qui n’existe finalement pas. 
 
L’auteur utilise beaucoup ses propres expériences et notamment ses nombreux voyages pour construire son récit. Il questionne sur la condition juive qui sont ses propres origines, sur la politique, le racisme et l’Histoire de manière générale. C’est un récit d’une grande profondeur et qui touche par son aspect très personnel. Un peu à la manière de Ken Liu dans L’homme qui mit fin à l’histoire, Lavie Tidhar se sert de la science-fiction pour interroger l’Histoire. Et il réussit sans prendre parti à proposer une analyse juste de la situation sous un prisme assez différent de celui dont on a l’habitude.  
 

En bref

Aucune terre n’est promise est une uchronie qui questionne sur la condition juive à travers une intrigue qui joue avec la réalité et nos repères. À travers une narration multiple, Lavie Tidhar bouleverse nos sens et nos repères pour proposer une réflexion profonde et une analyse très juste sur l’Histoire, sur la difficulté à trouver sa place quelque part. C’est un récit qui touche par son ton très personnel et qui surprend par sa narration atypique et les fils que le roman entremêle. 
TB lecture
 
 
 
 
 

14 réflexions sur “[Chronique] Aucune terre n’est promise, de Lavie Tidhar

  1. OmbreBones 24 avril 2022 / 7 h 07 min

    Très curieuse de lire ce titre du coup ! J’avoue que le résumé ne m’avait pas trop parlé pour les mêmes raisons que toi et ta chronique change la donne.

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  2. Elwyn 24 avril 2022 / 11 h 46 min

    Dans ma PAL, ton avis me donne envie de l’y ranger un peu plus haut et de m’y attaquer bientôt ! Merci 🙂

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  3. zoelucaccini 25 avril 2022 / 13 h 27 min

    Je vais regretter jusqu’à la fin de mes jours (oui je dramatise) de ne pas avoir pris ce bouquin aux Ima et de l’avoir fait dédicacer par son auteur.
    Je ne suis pas sûre qu’il me plaise totalement, mais j’ai très envie d’essayer malgré tout – sortir ses sentiers battus ça peut être bien aussi ! Et ton avis rejoint la ribambelle de retours positifs que j’ai lus.

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  4. Shaya 1 Mai 2022 / 16 h 34 min

    Ca a l’air d’être un roman très intéressant en tout cas, tu t’ajoutes donc aux critiques positives 🙂

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  5. Yuyine 13 Mai 2022 / 10 h 06 min

    Ce titre est assez fou en effet. Je me rappelle avoir été désarçonnée complètement avant de prendre les révélations en pleine poire. Je suis admirative de ce roman, de sa construction atypique, de ses messages sincères et puissants.

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  6. Tachan 5 avril 2023 / 13 h 02 min

    J’ai dévoré ce texte ce weekend. J’ai adoré comment cette uchronie nous interrogeait sur notre histoire. Du coup, je me demande pourquoi l’auteur n’est pas plus traduit chez nous.

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