[Chronique] Les flibustiers de la mer chimique, de Marguerite Imbert

les flibustiers de la mer chimique« Ariel se releva et me fit pivoter en me serrant les épaules.
– Tu veux mourir ? demanda-t-il ?
– Tu veux savoir ce qu’est une espace insécable ?
À question idiote, réponse futée. Je crus qu’il allait me mettre une autre claque, mais il se contenta de me regarder d’un air pensif. Et nous repartîmes. »


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Les flibustiers de la mer chimique
Autrice :
Marguerite Imbert
Illustration : Sparth
Maison d’édition : Albin Michel Imaginaire
Genre : Science-fiction
Nombre de pages : 453
Prix : 22,90 € 
Synopsis
Une folle odyssée sous des cieux aveuglants, sur des mers acides qui empruntent leurs couleurs à une délicieuse poignée de bonbons chimiques.
Tout commence par un naufrage. Ismaël, naturaliste de Rome, agonise sur un radeau de fortune quand il est repêché par le Player Killer, un sous-marin capable de naviguer dans les courants acides. Maintenant prisonnier des flibustiers de la mer chimique et de leur excentrique capitaine, Ismaël se demande comment réussir sa mission. Sur la terre ferme, la solitude n’a pas réussi à la graffeuse Alba – omnisciente ou presque. Bien qu’elle ait tendance à confondre les dates et les noms, elle est choisie pour incarner la mémoire des survivants. Dans une Rome assiégée par les flots toxiques de la Méditerranée, la jeune femme va apprendre à ses dépens que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Et si, séparés par des milliers de kilomètres, ignorant tout l’un de l’autre, Ismaël et Alba cherchaient à percer la même énigme ?
MON avis
Je ne rate quasiment aucune sortie des éditions Albin Michel Imaginaire même quand il est question d’ambiance post-apocalyptique, ce qui n’est pas mon genre préféré. La magnifique illustration de Sparth et la forte dimension écologique du texte m’ont attirée et, comme souvent, j’ai eu raison de faire confiance à cette maison d’édition, car on est ici sur un texte très qualitatif.

De quoi ça parle ?

Les flibustiers de la mer chimique est un roman qui se déroule dans le futur relativement proche, des dizaines d’années après une grande catastrophe qui a décimé la quasi-totalité de l’espèce humaine. Comme on peut s’en douter, la terre est devenue difficilement habitable, la montée des eaux a condamné beaucoup de villes, le pH de la mer s’est tant acidifié qu’il ne vaut mieux pas y mettre les pieds, les chiens sont devenus des bêtes féroces extrêmement intelligentes… Voici quelques réjouissances qui parsèment le quotidien des personnages. Ceux qui restent ont donc mis en place des stratégies pour survivre sur cette Terre hostile comme par exemple à Rome où un groupe s’est formé autour d’une figure appelée la Métareine.
Le roman possède deux trames distinctes. D’un côté, on suit le naturaliste de la Métareine, Ismaël ainsi que deux de ses compagnons qui se sont échoués au milieu de la mer chimique bien loin de Rome. Autant dire que leurs chances de survie étaient minces, et pourtant, ils vont être sauvés par un sous-marin gouverné par un capitaine excentrique qui va les accueillir, leur conférent un statut un peu ambigu entre invités et prisonniers… Il est évident que ce capitaine ne fait pas les choses par hasard, mais on apprend que c’est aussi le cas d’Ismaël qui suit une mission bien précise et secrète. De l’autre côté, on suit une jeune femme, Alba, qui vit isolée dans une grotte. Alba est une Graffeuse, elle possède ainsi un nombre incalculable de connaissances concernant surtout le passé de l’humanité, comme si elle représentait la mémoire incarnée de l’espèce humaine qu’elle transpose sous forme de fresques. De ce fait, elle va être enlevée et emmenée à Rome et devenir la Graffeuse de la Métareine.

Post-apo, comédie et traits d’esprit

Les flibustiers de la mer chimique est un roman déstabilisant au premier abord par le ton qu’il emploi assez éloigné de ce qu’on pourrait attendre dans le genre du post-apocalyptique. Marguerite Imbert prend le parti pris d’aborder l’apocalypse sur le ton de l’humour, mais pas un humour noir ou cynique, au contraire, un humour burlesque, barré, qui n’épargne rien ni personne. Si l’atmosphère du récit et l’univers dépeint restent sombres et que les personnages nous promènent à travers des paysages cauchemardesques, c’est à travers les dialogues que se compose cet humour, de manière assez fine du côté d’Ismaël et plus bourrue chez Alba. Le personnage d’Alba est ainsi très particulier, elle a tant de connaissances que tout semble se mélanger dans sa tête et il est souvent difficile de la suivre. Elle envoie des punchlines dès qu’elle ouvre la bouche (c’est-à-dire tout le temps puisqu’elle ne peut pas s’empêcher de parler) et s’il y a beaucoup d’esprit dans ce qu’elle dit, son excès de zèle en fait vite un personnage insupportable. Je dois dire qu’au milieu du récit, j’ai eu un peu de mal avec ce très lourd comique de répétition et le côté un peu trop déluré du récit, mais je ne peux que saluer la performance de l’autrice qui fait de son personnage ce qu’elle doit être. Alba est unique en son genre et est décrite par les autres comme difficilement supportable et c’est exactement l’image qu’elle renvoie. Malgré tout, elle possède un petit côté attachant qui la rend tout de même très sympathique. Et c’est de manière originale que l’autrice se sert d’elle pour aborder de nombreuses thématiques avec beaucoup d’esprit et notamment des thématiques assez peu traitées autour de l’intelligence, de la transmission des connaissances, de l’apprentissage, qui ont pourtant toute leur place dans un roman post-apocalyptique où les survivants n’ont plus besoin de certaines connaissances. Quelle est donc la place de la culture générale dans un monde où il faut lutter pour sa survie ? Peut-on faire aveuglément confiance à une personne qui nous semble infiniment cultivée ? Marguerite Imbert casse certains biais de nos existences avec brio en nous poussant à nous interroger, mais sans pour autant nous imposer une vision du monde.
Entre les deux trames, j’ai tout de même préféré celle d’Ismaël, qui est un personnage que j’ai beaucoup aimé suivre. Si la trame d’Alba est assez linéaire et repose beaucoup sur les dialogues vifs et piquants, celle d’Ismaël s’appuie plutôt sur des non-dits et des stratégies de manipulations. Ainsi cette trame est plus riche en rebondissements assez inattendus et en tension. L’autrice nous emmène dans des chemins auxquels on ne s’attend pas, dévoilant seulement à la fin ses plus grosses cartes qui remettent en question beaucoup de nos certitudes. Là aussi le récit est intelligemment mené, interrogeant bien sûr beaucoup sur l’écologie et la place de l’homme dans tout ça. Comme pour l’autre trame narrative, j’ai ressenti un petit passage à vide au milieu, n’étant pas forcément convaincue de la manière d’aborder certaines thématiques délicates. Finalement tout s’arrange très vite quand on comprend la direction prise par l’autrice. Comme je le disais, elle ne dévoile pas ses cartes dès le départ, on se demande parfois on l’on va, d’autant plus que l’autrice ose beaucoup de choses. C’est ce qui fait toute l’originalité et le charme de ce roman que je ne peux que vous conseiller.

Conclusion


Les flibustiers de la mer chimique est un récit post-apocalyptique prenant le contrepied de ce genre et lui conférant un aspect à la fois humaniste et débridé. Construit tel une fable écologique, le récit nous emmène dans une aventure aussi vive qu’intellectuelle à travers deux trames aussi différentes que complémentaires. L’une repose sur des dialogues incisifs et piquants, l’autre sur une quête, des secrets et des non-dits. Les deux trames nous emmènent pourtant vers une même révélation finale qui redistribue les cartes et nous interroge sur notre rapport au monde. Finalement, on passe un excellent moment avec ce roman original, drôle et plein d’esprit qui nous fait réfléchir tout en nous divertissant.
très bonne lecture

12 réflexions sur “[Chronique] Les flibustiers de la mer chimique, de Marguerite Imbert

  1. Baroona 20 octobre 2022 / 18 h 42 min

    Je ne suis de base pas très post-apo non plus, mais tu confirmes que celui-ci mérite totalement une exception !

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    • Sometimes a book 21 octobre 2022 / 19 h 57 min

      Effectivement les avis sont plutôt unanimes pour l’instant je pense, ça fonctionne très bien même si on est pas très amateurs du genre !

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  2. LecturesLunaires 25 octobre 2022 / 9 h 15 min

    Perso, j’adore le post-apo mais ce roman à l’air de complètement sortir des sentiers battus. Il me tarde de le découvrir. Et au fait, chapeau, pour cette chronique complète, détaillée et assurément bien écrite 😉 !

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    • Sometimes a book 26 octobre 2022 / 17 h 35 min

      Oui je trouve qu’il prend vraiment le genre du post-apo d’une manière très différente ! En tout cas merci pour le compliment ça me touche beaucoup !

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  3. Callysse 22 novembre 2022 / 17 h 10 min

    J’espère qu’il sera dans les 25 du PLIB! Quoi qu’il en soit, il est dans ma WL.

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  4. Les paravers de Millina 23 février 2023 / 16 h 51 min

    Je me note. Je ne connais pas du tout le genre mais ça me fait bien envie. De plus la collection imaginaire d’Albin Michel me fait de l’œil.

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