[Chronique] Widjigo, d’Estelle Faye

Widjigo
 
« Et je crois à la solitude, à la faim et à l’épuisement qui parfois changent les hommes en monstres. Qui nous dévorent et nous poussent à vouloir assouvir à notre tour des instincts insatiables. J’ignore s’il existe un dieu unique, un grand esprit ou un premier conte. Mais je suis certaine que nous portons en nous nos pires ennemis. »


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Widjigo
Autrice :
Estelle Faye
Illustration : Aurélien Police
Éditeur
: Albin Michel Imaginaire
Genre : Fantastique
Date de parution : 29 juillet 2021
Nombre de pages : 249
Prix : 18,90 €
 
Synopsis
En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. A l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres…
 
MON avis
Un nouveau roman d’Estelle Faye est toujours un évènement pour moi tant j’avais aimé ses Seigneurs de Bohen. J’accroche bien de manière générale à la plume de l’autrice qui possède en plus la capacité à toujours se renouveler, proposant des romans dans des genres différents si bien qu’on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Elle revient cette fois-ci avec un roman qui mêle le fantastique, l’horreur et l’historique, le tout sur fond de légendes amérindiennes, tout un programme !
 
L’intrigue de Widjigo se base sur un récit. Celui que raconte Justinien de Salers à Jean Verdier, un lieutenant venu l’arrêter dans le contexte de la révolution française. Que l’on soit dans le récit passé de Justinien de Salers ou dans le présent, l’atmosphère du roman est assez semblable : sombre, poisseuse, froide, désolée. On oscille entre ce fort en ruine où s’est caché le noble en plein milieu d’une tempête et l’île hostile de Terre-Neuve où il a fait naufrage quarante ans plus tôt. Dans les deux cas, Estelle Faye parvient parfaitement bien à retranscrire les sentiments de peur, de désespoir que ressentent les personnages et la lutte pour leur survie. L’atmosphère créé est vraiment le point fort de cette histoire tant elle est tangible. On ressent le froid, la faim, la peur de la même manière que les personnages. Comme eux, on ne sait à qui se fier. Car dans Widjigo, on le sait, la plupart des expéditions ne se terminent qu’avec un seul survivant. Justinien de Salers le savait pourtant avant de partir sur l’île de Terre-Neuve. Alors comment être surpris quand les membres de l’expédition commencent à être assassinés les uns après les autres ? 
 
Et pourtant si Justinien est toujours là pour raconter son histoire, cela signifie-t-il qu’il a été à son tour le seul survivant de l’expédition ? Estelle Faye nous tient réellement en haleine avec cette question. On lit ce roman en retenant son souffle, n’osant pas s’attacher aux personnages… Cela ne doit pas être si difficile après tout, beaucoup semblent antipathiques au premier abord, tous ont une certaine étrangeté, une part d’ombre cachée… Mais pourtant ils sont aussi profondément humains, alors comment ne pas s’identifier à au moins l’un d’entre eux ? Estelle Faye construit savamment bien ses personnages, ce qui contribue à rendre l’atmosphère du récit si réussie. On ne les perçoit qu’à travers la perception de Justinien qui a forcément une attitude méfiante vis-à-vis d’eux. En tant que lecteur, on ne sait donc jamais vraiment comment se positionner et comment les cerner. Doit-on se méfier d’eux ou avoir peur pour eux ? Beaucoup de questions se posent au fil de la lecture et si la tension est présente dès les premières pages, elle s’accentue encore à mesure que les relations entre les personnages se complexifient. Si l’on pense avoir deviné des choses, l’autrice retourne la situation, nous montrant que les apparences sont trompeuses. 
 
Finalement, l’intrigue de Widjigo est assez simple et le titre même du roman nous laisse un sérieux indice sur l’un des mystères de ce récit (à condition de savoir ce que cela signifie et je vous encourage à ne pas faire de recherche avant de le lire si ce n’est pas le cas !). Estelle Faye nous emmène dans un récit de survie, comme on en voit beaucoup. Celui d’un groupe de personnages se retrouvant contre son gré dans une nature hostile, à devoir à la fois affronter les dangers que cette nature représente, mais aussi les dangers que les autres représentent. Le déroulé est donc assez classique, mais l’ambiance oppressante à souhait et le contexte historique le rendent tout à fait unique. Car en plus d’être un très bon divertissement, ce texte nous donne envie de nous intéresser à cette période historique, à l’Histoire de Terre-Neuve et son lien avec la Bretagne. Les retournements de situation finaux finissent de nous convaincre qu’Estelle Faye signe une fois encore un excellent roman et qu’elle fait incontestablement partie des piliers de la littérature SFFF francophone. 
 

Conclusion


Widjigo nous emmène dans un récit mêlant les genres du fantastique, de l’horreur et de l’historique. Ce mélange de genre donne une ambiance très singulière au récit, l’atmosphère est froide, sombre et terriblement tangible. Le récit oscille entre deux époques, toutes deux marquées par la terreur : d’un côté la Révolution française, de l’autre un naufrage sur l’île de Terre-Neuve au large du Canada s’étant produit quarante ans plus tôt. Ce naufrage, c’est l’histoire que nous raconte Justinien de Salers. Il nous plonge dans l’horreur de ce qu’il a vécu sur cette île où il ne pouvait y avoir qu’un seul survivant… Le déroulé de l’intrigue est assez classique, mais l’ambiance et les émotions des personnages sont très bien retranscrites. Les notions de survie, de confiance, de lutte contre ses propres démons sont au cœur de ce roman où l’on ne peut pas se fier aux apparences. Estelle Faye nous tient ainsi en haleine jusqu’à la dernière page bouleversant à chaque instant nos convictions.
TB lecture
Je remercie Gilles Dumay pour l’envoi de ce roman en service-presse
 

12 réflexions sur “[Chronique] Widjigo, d’Estelle Faye

  1. tampopo24 29 septembre 2021 / 6 h 24 min

    Je retrouve tout à fait dans ta chronique ce que j’ai ressenti ce weekend en le lisant.
    J’ai adoré l’ambiance, le ton et la narration de ce roman. Et puis quelles surprises ! Je ne m’attendais pas à ce final. Top !

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  2. OmbreBones 3 octobre 2021 / 5 h 30 min

    Ça y est je l’ai acheté hier ! Je lirais donc ta chronique après 😉

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